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Jean-Pierre Rosnay

FEMMES
Grandeur et Misère de La Poésie
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(quelques repères par Piers Tenniel)

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FEMMES
par Jean-Pierre Rosnay

Chaque femme est pour un homme, d'ici ou d'ailleurs, vêtue d'or et de puissance ou de poussier
de charbon et de colère, celle qui règne sur l'empire de ses songes, le seul, le grand amour, celui
qui rend les autres amours dérisoires, presque ridicules, la femme, avec F comme fée, comme
fête, comme féerie, comme fantastique, comme fenaison, comme fumée, comme fantaisie,
comme fureur, comme fantôme, comme frontière, comme fontaine, comme folie.

Chaque femme est le point vivant, mobile, unique et précis, vers où convergent tous les sentiments d'un homme, qui pour elle goberait les océans, boirait la ciguë, abreuverait les pierres ou les oiseaux de chaque goutte de son sang, contre un sourire, un regard, une parole pas forcément audible, un murmure, un geste, même inachevé.
Chaque femme est, a été ou sera cette brûlure à rien d'autre comparable, qui laisse d'invisibles et ineffaçables cicatrices sur l'âme d'un homme.

Celle-ci, avec son cabas orné d'oignons et d'aubergines, l'ignore peut-être; mais il en est ainsi, elle est l'élue, le volcan, la pluie, l'Himalaya, l'insomnie, la force, la faiblesse de quelqu'un, quelque part. Elle s'affaire, comme savent le faire les femmes.
Tout à l'heure, après les avoir dépouillés de leur robe, elle découpera et jettera ces légumes hauts en couleur dans l'eau lustrale de la casserole quotidienne, elle allumera le feu et le père, le frère, le fils, le mari, le camarade ou l'amant, qui lit son journal et parle avec vigueur des choses vastes et complexes de ce monde, retrouvera cette joie humble et salvatrice du repas que la femme a confectionné, les mains dansant sur une parcelle de la réalité.

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Celle-là s'en va à son bureau, fardée comme une momie égyptienne, mais elle a, profitant d'un instant happé sur ses activités, recousu, remis en place le bouton du col de celui-ci, le mien, le vôtre.
On les voit traverser des passages cloutés, prendre l'ascenseur, lécher avec gourmandise les vitrines, croiser les jambes haut, pour nous rappeler à l'ordre de la nature, cajoler des enfants qui sont embarrassants et pleurent et urinent partout et grandissent et ont mal aux dents, aux yeux, au ventre.

On les voit poinçonner des tickets, distribuer des tracts, donner des coups de téléphone, obéir souvent, commander quelquefois, courir sur des stades, prostituer leur image pour le compte de la publicité, allumer des cierges ou des incendies, là n'est pas l'essentiel.
Toutes, chacune, on ne le répétera jamais assez, qu'elle l'ignore, l'espère ou le redoute, est dispensatrice de ce vertige qui s'empare de l'homme à l'improviste, comme ça. Tout est changé, cet homme n'est plus à cette seconde ce qu'il était à la seconde précédente. Ce doux agneau peut vous tuer sans sourciller, si vous vous placez entre elle et lui.

Elle est pharmacienne, couturière, danseuse, femme de ménage, femme de manège, mais il l'aime, vous l'entendez? Ca ne s'explique pas. Passez votre chemin, n'essayez pas de lui faire comprendre qu'elle est de plein droit à un autre, il n'y a rien à comprendre, sa patrie est là où ce coeur bat, où cette jambe vole, où cette hanche pivote sur elle-même.
Chaque femme est le sujet d'un extraordinaire roman, d'un pathétique roman, qu'elle le sache ou qu'elle l'ignore, qu'elle le redoute ou l'espère, il en est ainsi. Elle est couverte de regards. Pour celui-ci qui s'intéresse à celle-là, aucune autre n'existe, toutes sont de trop, des figurantes, des femmes pour rire, comme on en voit sur les écrans. Celle-là est sa femme pour pleurer sur l'oreiller.

Ne souriez pas, pas un mot déplacé surtout, je vous le rappelle, cet homme, touché par cette grâce obscure et flamboyante qui court les rues, est devenu, le temps de cet amour, un fauve, un tueur en puissance, avec qui mieux vaut ne pas plaisanter.
Là, derrière ce rideau, c'est elle. Vous la voyez dans les couloirs du métropolitain, c'est encore elle, vous la voyez à bicyclette, c'est toujours elle, elle nage, elle danse, elle relace sa sandale, elle arrive, elle part, traverse, elle prend l'avion, elle nage, elle répond à vos questions, elle prend note, elle vous rappellera, elle est absente.

Théâtre escorté d'ombre et de soleil, chaque femme est l'héroïne d'un chef-d'oeuvre qu'il suffirait d'écrire.


Recette de femme
(Moraes)

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Grandeur et Misère de la Poésie

par Jean-Pierre Rosnay

Les plumes que tiendront les mains de l'avenir décriront vraisemblablement cette fin du vingtième siècle, comme une étape décisive de l'aventure humaine. Souvenez-vous, c'était hier, sur vos écrans de télévision, les premiers pas de l'homme sur la lune, en direct, comme si vous y étiez - cette danse de l'ours, ces messages que vous entendiez plus clairement que la plupart de vos correspondants au téléphone - notre puissance nous apparaît sans limites. Comme l'écrivait si bellement Aragon:"j'ai vécu le jour des merveilles -vous et moi souvenez-vous en- et j'ai franchi le mur des ans- des miracles plein les oreilles ". Des miracles, nous en vivons tous les jours, à chaque moment. Ils sont devenus la routine. Et pourtant... et pourtant ce siècle fut aussi l'occasion et le complice du plus monstrueux des holocaustes. Souvenez-vous, c'était il y a à peine trente ans, ces trains où des hommes casqués et vêtus de vert entassaient à coups de crosse femmes et enfants, dans des wagons plombés, puis les jetaient vivants dans les flammes de fours conçus scientifiquement à cette fin.

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Et j'en dirais, et j'en dirais... de ces interminables guerres qui ont souillé et souillent encore ce siècle, où une science fabuleusement avancée, mais dévoyée, a mis son potentiel d'ingéniosité aux ordres et au service de la mort. Ce n'est sans doute pas un hasard si dans le même temps, les écrivains et en particulier les poètes, sont traités systématiquement en suspects (à la première occasion), victimes désignées de la vindicte des pouvoirs totalitaires. Souvenez-vous de la chasse aux intellectuels au Chili et de André Siniavski, qui fut jeté dans les geôles de la première terre où le socialisme, porteur de tant d'espoirs, a pris pied, et dont Le Verglas remarquablement traduit par Sonia Lescaut est certainement l'un des sommets de la littérature contemporaine.

Je ne suis pas sûr, tous les matins, que Dieu existe (je le souhaite); en tous cas, j'ai parfois l'immodeste impression qu'il veille sur moi et sur mon itinéraire. Les Poètes ne sont-ils pas, y compris et peut-être à commencer par les plus acharnés à le nier, ses interprètes les plus attentifs et les plus fidèles? Les gardiens de ses fabuleux jardins? Qui célèbre la nature mieux que le poète, qui appelle, chante l'amour et la fraternité mieux que le poète? Et ce verbe, qui fut au commencement, et ce verbe fait chair, qui en tire la meilleure part, qui s'emploie à lui donner la parole juste et harmonieuse, à le perpétuer, à l'approfondir, à le renouveler, alors que bruissent dans la cité, les mécanismes du profit, alors que petits et grands, persuadés -les stupides- que le temps n'est que de l'argent, chacun en fonction de ses aptitudes et de sa position, s'employant à des tâches qui du point de vue des statistiques, à 80 pour cent, ont pour unique objet la consolidation de leur position matérielle? Il est des hommes et des femmes, apparemment semblables aux autres, qui ajustent et liment des phrases que personne, peut-être, ne lira -l'un parle d'une fleur, l'autre d'un oiseau, celui-ci de son amour pour celle-là, celle-là vilipende la guerre, un autre encore, sur qui veille Stéphane Mallarmé, a entrepris d'offrir au verbe de nouvelles saisons et de nouveaux territoires, par des agencements inaccoutumés, activité qui ne lui attirera vraisemblablement que mépris et incompréhension.

Que de temps, que de papier, que d'encre - Perdus au regard des "chantres du réalisme et de 1'efficacité", mais c'est ce temps, ce papier, cette encre, qui sauveront, une fois de plus, tout ce que l'on peut sauver.

Si j'ai fait croire que j'étais pessimiste, c'est que je suis bien maladroit. J'ai une foi que rien ne peut entamer dans les lendemains: Personne, jusqu'à ce jour, n'a situé le paradis. A cet égard, je vais vous confier mon point de vue : le paradis sera sur terre, mais il nous appartient de le construire de toutes parts. Et dans cette perspective, les poètes ont un rôle à jouer, à condition qu'entre deux poèmes, ils soient décidés à se battre (mains et coeur nus). Les valeurs essentielles que nous représentons, illustrons, défendons, méritent que l'on descende dans la mêlée.

Je ne retirerai ni un mot, ni une virgule de ce qui vient de jaillir de moi.

Voici venir le temps des poètes de combat.

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