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Jean-Pierre Rosnay
FEMMES
Grandeur et Misère de La Poésie
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(quelques repères par Piers Tenniel)
Un oncle l'initie à la poésie
à l'âge de 4 ou cinq ans,
il ne cessera plus d'écrire.
1941 Il entre dans la Résistance à l'âge de quinze ans et demi, est fait prisonnier en 43 (par Klaus Barbie), s'évade et reprend le maquis jusqu'à la Libération. C'est à cette période qu'il rencontre Louis Aragon (qu'il escorte avec des camarades de combat.)
1950 Fonde le mouvement des J.A.R. (Jeunes Auteurs Réunis) qui défraie la chronique en organisant un certain nombre de manifestations-scandales (enlèvement de Julien Gracq, enterrement de l'Existentialisme, interruption de la remise du Prix Goncourt) pour redonner un peu d'allant à une actualité poétique un peu endormie depuis que les Surréalistes ont pris leur retraite.
1952 Rencontre sa Muse, Tsou l'Alexandrine, qui sera désormais à ses côtés dans tous ses combats poétiques et qui lui donnera les plus beaux enfants du monde (4), puisque "Tête brune, tête blonde, tous les enfants du monde sont les plus beaux enfants du monde."
1954 Se lie d'amitié avec Queneau
et Cocteau qui parrainent ses premiers recueils de poèmes chez Gallimard (Le treizième
apôtre),
Comme un bateau prend la mer, Les Diagonales)
de 1958 à 1982, il réalise des émissions de radio puis de télévision au cours desquelles il reçoit entre autres Elsa et Louis Aragon, Pablo Neruda, Henri Michaux, Octavio Paz, Ana Blandiana, Vinicius de Moraes, Saint-John Perse, etc.
1961 Crée le Club des Poètes où il anime chaque soir un spectacle de poésie.
1978 Organise le premier Festival International de Poésie de Paris à laquelle participeront des poètes de 37 pays différents.
1986 Crée la revue Vivre en Poésie, Etat d'Urgence la Radio Libre des Poètes, le 1er réseau de Poésie par minitel,
1995 publie "Fragment et
Relief", recueil regroupant des poèmes inédits de la
période 1960-1994
1996 Crée le Cyberclub des Poètes
Chaque femme est pour un
homme, d'ici ou d'ailleurs, vêtue d'or et de
puissance ou de poussier
de charbon et de colère, celle qui règne sur l'empire de ses songes, le
seul, le grand amour, celui
qui rend les autres amours dérisoires, presque ridicules, la femme, avec F comme fée, comme
fête, comme féerie, comme fantastique, comme fenaison, comme fumée, comme
fantaisie,
comme fureur, comme fantôme, comme frontière, comme fontaine, comme folie.
Chaque femme est le point
vivant, mobile, unique et précis, vers où
convergent tous les sentiments d'un homme, qui pour elle goberait les
océans, boirait la ciguë, abreuverait les pierres ou les oiseaux de chaque goutte de son sang, contre un
sourire, un regard, une parole pas forcément audible, un murmure, un geste, même
inachevé.
Chaque femme est, a été ou sera cette brûlure à rien d'autre comparable, qui laisse
d'invisibles et ineffaçables cicatrices sur l'âme d'un homme.
Celle-ci, avec son cabas orné d'oignons et
d'aubergines, l'ignore peut-être; mais il en est ainsi, elle est l'élue, le
volcan, la pluie, l'Himalaya, l'insomnie, la force, la faiblesse de quelqu'un, quelque part. Elle
s'affaire, comme
savent le faire les femmes.
Tout à l'heure, après les avoir dépouillés de leur robe, elle découpera et jettera
ces légumes hauts en couleur dans l'eau lustrale de la casserole
quotidienne, elle
allumera le feu et le père, le frère, le fils, le mari, le camarade ou
l'amant, qui lit
son journal et parle avec vigueur des choses vastes et complexes de ce monde, retrouvera
cette joie humble et salvatrice du repas que la femme a confectionné, les mains dansant
sur une parcelle de la réalité.
Celle-là s'en va à son
bureau, fardée comme une momie égyptienne,
mais elle a, profitant d'un instant happé sur ses activités, recousu, remis en place le
bouton du col de celui-ci, le mien, le vôtre.
On les voit traverser des passages cloutés, prendre l'ascenseur, lécher avec gourmandise
les vitrines, croiser les jambes haut, pour nous rappeler à l'ordre de la nature, cajoler
des enfants qui sont embarrassants et pleurent et urinent partout et grandissent et ont
mal aux dents, aux yeux, au ventre.
On les voit poinçonner des
tickets, distribuer des tracts, donner des
coups de téléphone, obéir souvent, commander quelquefois, courir sur des
stades,
prostituer leur image pour le compte de la publicité, allumer des cierges ou des
incendies, là n'est pas l'essentiel.
Toutes, chacune, on ne le répétera jamais assez, qu'elle l'ignore, l'espère ou le
redoute, est dispensatrice de ce vertige qui s'empare de l'homme à l'improviste, comme
ça. Tout est changé, cet homme n'est plus à cette seconde ce qu'il était à la seconde
précédente. Ce doux agneau peut vous tuer sans sourciller, si vous vous placez entre
elle et lui.
Elle est
pharmacienne, couturière, danseuse, femme de ménage, femme
de manège, mais il l'aime, vous l'entendez? Ca ne s'explique pas. Passez votre
chemin,
n'essayez pas de lui faire comprendre qu'elle est de plein droit à un autre, il n'y a
rien à comprendre, sa patrie est là où ce coeur bat, où cette jambe vole, où cette
hanche pivote sur elle-même.
Chaque femme est le sujet d'un extraordinaire roman, d'un pathétique roman, qu'elle le
sache ou qu'elle l'ignore, qu'elle le redoute ou l'espère, il en est ainsi. Elle est
couverte de regards. Pour celui-ci qui s'intéresse à celle-là, aucune autre
n'existe,
toutes sont de trop, des figurantes, des femmes pour rire, comme on en voit sur les
écrans. Celle-là est sa femme pour pleurer sur l'oreiller.
Ne souriez
pas, pas un mot déplacé surtout, je vous le rappelle, cet homme, touché par cette grâce obscure et flamboyante qui court les
rues, est devenu, le
temps de cet amour, un fauve, un tueur en puissance, avec qui mieux vaut ne pas
plaisanter.
Là, derrière ce rideau, c'est elle. Vous la voyez dans les couloirs du
métropolitain,
c'est encore elle, vous la voyez à bicyclette, c'est toujours elle, elle nage, elle
danse, elle relace sa sandale, elle arrive, elle part, traverse, elle prend
l'avion, elle
nage, elle répond à vos questions, elle prend note, elle vous rappellera, elle est
absente.
Théâtre escorté d'ombre et de soleil, chaque femme est l'héroïne d'un chef-d'oeuvre qu'il suffirait d'écrire.
Grandeur et Misère de la Poésie
par Jean-Pierre Rosnay
Les plumes que tiendront les mains de l'avenir décriront vraisemblablement cette fin du vingtième siècle, comme une étape décisive de l'aventure humaine. Souvenez-vous, c'était hier, sur vos écrans de télévision, les premiers pas de l'homme sur la lune, en direct, comme si vous y étiez - cette danse de l'ours, ces messages que vous entendiez plus clairement que la plupart de vos correspondants au téléphone - notre puissance nous apparaît sans limites. Comme l'écrivait si bellement Aragon:"j'ai vécu le jour des merveilles -vous et moi souvenez-vous en- et j'ai franchi le mur des ans- des miracles plein les oreilles ". Des miracles, nous en vivons tous les jours, à chaque moment. Ils sont devenus la routine. Et pourtant... et pourtant ce siècle fut aussi l'occasion et le complice du plus monstrueux des holocaustes. Souvenez-vous, c'était il y a à peine trente ans, ces trains où des hommes casqués et vêtus de vert entassaient à coups de crosse femmes et enfants, dans des wagons plombés, puis les jetaient vivants dans les flammes de fours conçus scientifiquement à cette fin.
Et j'en dirais, et j'en dirais... de ces interminables guerres qui ont souillé et souillent encore ce siècle, où une science fabuleusement avancée, mais dévoyée, a mis son potentiel d'ingéniosité aux ordres et au service de la mort. Ce n'est sans doute pas un hasard si dans le même temps, les écrivains et en particulier les poètes, sont traités systématiquement en suspects (à la première occasion), victimes désignées de la vindicte des pouvoirs totalitaires. Souvenez-vous de la chasse aux intellectuels au Chili et de André Siniavski, qui fut jeté dans les geôles de la première terre où le socialisme, porteur de tant d'espoirs, a pris pied, et dont Le Verglas remarquablement traduit par Sonia Lescaut est certainement l'un des sommets de la littérature contemporaine.
Je ne suis pas sûr, tous les matins, que Dieu existe (je le souhaite); en tous cas, j'ai parfois l'immodeste impression qu'il veille sur moi et sur mon itinéraire. Les Poètes ne sont-ils pas, y compris et peut-être à commencer par les plus acharnés à le nier, ses interprètes les plus attentifs et les plus fidèles? Les gardiens de ses fabuleux jardins? Qui célèbre la nature mieux que le poète, qui appelle, chante l'amour et la fraternité mieux que le poète? Et ce verbe, qui fut au commencement, et ce verbe fait chair, qui en tire la meilleure part, qui s'emploie à lui donner la parole juste et harmonieuse, à le perpétuer, à l'approfondir, à le renouveler, alors que bruissent dans la cité, les mécanismes du profit, alors que petits et grands, persuadés -les stupides- que le temps n'est que de l'argent, chacun en fonction de ses aptitudes et de sa position, s'employant à des tâches qui du point de vue des statistiques, à 80 pour cent, ont pour unique objet la consolidation de leur position matérielle? Il est des hommes et des femmes, apparemment semblables aux autres, qui ajustent et liment des phrases que personne, peut-être, ne lira -l'un parle d'une fleur, l'autre d'un oiseau, celui-ci de son amour pour celle-là, celle-là vilipende la guerre, un autre encore, sur qui veille Stéphane Mallarmé, a entrepris d'offrir au verbe de nouvelles saisons et de nouveaux territoires, par des agencements inaccoutumés, activité qui ne lui attirera vraisemblablement que mépris et incompréhension.
Que de temps, que de papier, que d'encre - Perdus au regard des "chantres du réalisme et de 1'efficacité", mais c'est ce temps, ce papier, cette encre, qui sauveront, une fois de plus, tout ce que l'on peut sauver.
Si j'ai fait croire que j'étais pessimiste, c'est que je suis bien maladroit. J'ai une foi que rien ne peut entamer dans les lendemains: Personne, jusqu'à ce jour, n'a situé le paradis. A cet égard, je vais vous confier mon point de vue : le paradis sera sur terre, mais il nous appartient de le construire de toutes parts. Et dans cette perspective, les poètes ont un rôle à jouer, à condition qu'entre deux poèmes, ils soient décidés à se battre (mains et coeur nus). Les valeurs essentielles que nous représentons, illustrons, défendons, méritent que l'on descende dans la mêlée.
Je ne retirerai ni un mot, ni une virgule de ce qui vient de jaillir de moi.
Voici venir le temps des poètes de combat.