«Poésie de Mots Inconnus»

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Paris: Illiazd  (Ilia Zdanévitch), 1949. Edition of 157, No. 14 of 115 on Isle de France. (9X6in)

 

Description:

Contains 26 original estampes in color and black and white by Arp, Braque, Chagall, Giacometti, Masson, Matisse, Miro and others. This copy does not have the sheets folded. Ex-Libris, Nelson Rockefeller. Paris: Le Degre 41, 1949. 27 leaves, unfolded, unbound as issued within original vellum wrappers with pictorial design by Georges Ribemont-Dessaignes and vellum case. Signed by the publisher, Iliazd. 26 prints in various media in color and black and white. Includes 6 woodcuts- one each by Arp, Arp & Bryen, Arp after Taeuber-Arp, Schwitters, Survage, Tutgat:6 etchings, one each by Villon, Laurens, Masson, Chagall, Giacometti, Gleizes: 2 engravings- one each by Dominquez and Picasso; 3 drypoints- one each by Metzinger, Wols, and Bryen; one aquatint by Magnelli; 6 lithographs one each by Brague, Leger, Ferat, Miro and 2 by Picasso; one linoleum cut by Matisse. Each page features a print and a poem by a different artist and author. The poets include Akinsemoyin, Albert-Birot, Arp, Artaud, Audiberti, Ball, Beauduin, Bryen, Dermee, Hausmann, Huidobro, Iliazd, Jolas, Khlebnikovm Kruchenykh, Picasso, Poplavsky, Schwitters, Seuphor, Terentiev and Tzara. Published to commemorate the thirtieth anniversary of the birth of Dada in Zurich, this work is an anthology of Dada and Futurist texts in various languages by the originators of sound, visual and concrete poetry. The layout, design and typography on each page is striking. Poesie de Mots Inconnus is one of the great achievements by the innovative publisher, typographer and poet, Iliazd, who asked Matisse to contribute his print. Cramer 19

 

Iliazd est le pseudonyme d’Ilia Zdanevitch, né à Tiflis - aujourd’hui Tbilissi, capitale de la Géorgie, alors chef-lieu des provinces transcaucasiennes de l’Empire russe - en 1894, mort à Paris en 1975. Il fut critique d’art, journaliste, poète, dramaturge, romancier et  byzantinologue, mais est surtout célèbre pour ses éditions d’art réalisées à Paris à l’enseigne du Degré 41 avec la collaboration des plus grands artistes de son temps. Il apparut en 1911 à Saint-Pétersbourg comme introducteur du futurisme italien en Russie et fut l’une des personnalités les plus originales du futurisme russe. Proche de Larionov et de Gontcharova, il joua un rôle important dans la conceptualisation des pratiques de l’avant-garde en développant la notion de « toutisme » et fut l’un des découvreurs du peintre national géorgien Niko Pirosmani. Rentré à Tiflis en octobre 1917 après un séjour formateur au sein d’une mission archéologique dans les anciennes provinces géorgiennes de Turquie passées momentanément sous le contrôle des troupes russes, il n’eut de cesse de replacer dans les formes de l’avant-garde les éléments culturels universels qu’il croyait communs à toutes les époques et toutes les civilisations, seule condition, selon lui, pour donner un sens à la modernité.  Il fut alors le chef de file du mouvement 41° et composa un cycle de cinq drames en langage « d’outre-entendement » (zaoum) sous le titre Les traits de l’âne, vision poétique globalisante de l’histoire de l’individu dont le dernier épisode, paru en France en 1923 (Ledentu le Phare) est considéré comme un chef d’œuvre d’art typographique pré-constructiviste.

Arrivé à Paris en 1921, il rejoint les dadaïstes, participe à leurs activités et fonde le groupe « Tchérez », destiné à jeter une passerelle entre avant-gardes russe et française. Après l’échec de cette entreprise (scandale de la soirée du Cœur à barbe en juin 1923 qui marque son rapprochement avec les futurs surréalistes), il s’adonne à l’écriture de romans expérimentaux en russe (Parigotiques, 1924, Le Ravissement, 1930), puis trouve sa voie définitive en 1940, date à laquelle paraît Afat, recueil de 76 sonnets illustrés par Picasso. Suivront, entre 1941 et 1975, vingt autres beaux livres aux tirages savamment limités (jamais plus de quelques dizaines d’exemplaires) qui placent leur maître d’œuvre au sommet de l’édition illustrée du XXe siècle. Ses illustrateurs s’appellent en premier lieu Picasso, le plus constant, mais aussi Giacometti, Braque, Arp, Ernst, Miro, Matisse... en tout une cinquantaine des peintres, sculpteurs ou graveurs majeurs de l’époque. Ces artistes avaient l’habitude de travailler avec d’autres éditeurs, mais ce qui, dans le rapport entre peintre et éditeur, rend la démarche d’Iliazd originale, c’est que jamais, ici, l’éditeur n’est en-dessous de l’illustrateur. Au contraire, c’est lui qui impose à l’artiste sa vision du livre emprunte de rigueur, avec des mises en page où vibre l’harmonie paradoxale des textes entièrement composés en lettres majuscules bâton (le « Gill sans » demi-gras de corps 12) révélée par l’espacement variable des caractères (technique reprise de l’art de l’affiche), l’usage des nobles papiers anciens de Chine ou de Japon et surtout l’équilibre parfaitement maîtrisé entre la pureté de l’image et la rareté de textes le plus souvent recherchés dans l’œuvre d’auteurs curieux et oubliés dont l’existence tend à démontrer, du XVe siècle à nos jours, l’unité d’une création affranchie des dogmes. Reliant Roch Grey (Chevaux de minuit, 1956, illustrations de Picasso), la poétesse méprisée du début du XXe siècle et Guillaume Tempel, l’astronome du XIXe siècle rejeté par ses pairs (Maximiliana, 1964, illustrations de Max Ernst), les poètes abstraits du XXe siècle (Poésie de mots inconnus, 1949, illustrations de 23 artistes) et leurs lointains ancêtres de la Renaissance comme René Bordier (Récit du Nord et régions froides, 1956, illustrations de Camille Bryen), la « mise en lumière » d’Iliazd établit des liens insoupçonnés et s’inscrit dans une démarche de rappropriation scientifique autant qu’artistique.

Chaque ouvrage ancien retrouvé par Iliazd fait en effet l’objet de recherches historiques, textuelles ou linguistiques poussées, pour en donner la version artistiquement et historiquement la plus satisfaisante. C’est le cas de deux livres d’Adrian de Monluc, poète toulousain du XVIIe qui signait Guillaume de Vaux ou Comte de Cramail, redécouvert et identifié comme un seul et unique individu par Iliazd : La Maigre, édité en 1952 dans une mise en pages d’un parfait classicisme ordonné par les eaux fortes de Picasso et Le Courtisan grotesque, publié en 1974 avec seize gravures de Miro.

La Maigre introduisit définitivement Iliazd dans le cercle restreint des grands couturiers de l’édition, dont les livres font l’objet de la recherche acharnée des bibliophiles. Exposé aujourd’hui par le Service culturel de Paris IV Sorbonne, Le Courtisan grotesque, dernier ouvrage publié par Iliazd, offre un exemple saisissant d’invention typographique alliant le respect scrupuleux du texte ancien à ses principes personnels. Le texte de Monluc présente une suite de calembours donnant du personnage principal un portrait absurde. Pour ne pas renoncer aux petites capitales romaines de son caractère fétiche, Iliazd, réinterprétant une édition de 1630 où ces jeux de mots étaient matérialisés par l’incrustation des italiques dans le corps du texte en romain, repousse l’usage de l’italique mais tourne d’un demi-tour vers la gauche les caractères des mots que cette édition donnait en italique dans l’original. Ce faisant, il doit aussi jouer sur les intervalles, se lançant dans un savant travail de rééquilibrage de la page afin que l’œil ne soit pas agressé, mais accueille avec aisance cette innovation. En regard, les grandes pages colorées de Miro livrent à cette « folie » de grand seigneur le meilleur commentaire qui soit, celui d’une abstraction presque totale qui évite tout pléonasme.

Cas unique dans l’histoire des relations entre Iliazd et ses illustrateurs, le travail de Miro est le fruit tardif de plus de vingt longues années d’hésitation et de mûrissement, depuis qu’Iliazd présenta son projet au peintre catalan en juin 1951. Miro et Iliazd se côtoyaient depuis fort longtemps ; Miro contribua en 1949 à illustrer Poésie de mots inconnus, mais nombre d’entraves, de doutes, de repentirs, d’interrogations repoussèrent pendant deux décennies la réalisation de ce projet auquel Iliazd tenait particulièrement. Le résultat final dépassa les espérances. L’œuvre ultime d’Iliazd, en refermant sur une touche joyeusement baroque un cycle ouvert en 1952 par le classicisme de La Maigre, est l’une des plus belles réussites de l’édition moderne.